LE DÉNOMBREMENT DES MAINS
Joël BRADMETZ
Il y a 52 ! façons de ranger un jeu de bridge, soit 8,065 * 10 e+67. Il n'y a pas autant de mains différentes puisque toutes les
permutations des cartes de rang modulo 1, 2, 3 et 4 laissent les jeux invariants. Il y a 13 ! telles permutations pour chaque rang
soit en tout 13 ! * 4 = 1,50356173 * 10 e+39 . Le nombre de distributions différentes entre 4 joueurs est donc le nombre de façons
de ranger le jeu, divisé par ces permutations, soit : 8,065 * 10 e+67 / 1,503 * 10 e+39 = 5,364 * 10 e+28. Nous retrouvons ce résultat
par un autre raisonnement fondé sur les combinaisons. Il y a C(13,52) * C(13,39) * C(13*26) distributions possibles des cartes soit : 5,364 * 10 e+28.
Du point de vue de la partie et des maniements (mais non pas des contrats et des enchères), ce nombre peut encore être réduit
puisque les couleurs sont permutables. Si l'on divise le nombre de distributions par 4 ! (les permutations de couleur) il en reste finalement 13 411 184 439 699 948 178 299 803 550.
Ce nombre est gigantesque mais caractéristique des problèmes combinatoires. Un bridgeur a plus de façons de ranger ses cartes dans sa main qu'il n'y a d'êtres humains sur la planète en 2009, et
il y a plus de façons de mélanger un jeu de 59 cartes qu'il n'y a d'atomes dans tout l'univers, sachant que celui-ci contient 10 000 000 000 000 000 000 000 étoiles et qu'il y a 100 fois plus
d'atomes d'hydrogène dans un gramme d'eau que d'étoiles dans l'univers.
Le maniement d'une seule couleur constitue souvent un module cloisonné et indépendant du jeu global, bien qu'aucune théorie générale
n'explique comment articuler plusieurs maniements ensemble. Si la même ligne conservait la main durant les 13 levées de la partie, le problème serait
trivialement celui de quatre maniements de couleur indépendants et la seule chose à surveiller serait les défausses maladroites du partenaire.
La complexité du bridge n'apparaît qu'avec les reprises de main.
Il y a 4 e+13 distributions d'une couleur entre les 4 joueurs. Si l'on considère le seul point de vue du déclarant et que l'on cache les mains adverses,
il y a alors 3 e+13 distributions (chacune des 13 cartes va soit en Sud, soit en Nord, soit chez l'adversaire). Dans le cas idéal où les reprises de main ne sont
pas limitées en Sud ni en Nord (conventionnellement le mort), ce nombre peut être ramené par symétrie à (3 e+13 +1) / 2 (on ne peut diviser
simplement par 2 parce qu'une distribution n'est pas permutable : celle où Sud et Nord sont vides). Nous atteignons alors le nombre beaucoup plus raisonnable de 797 162 et,
par convention, Sud se verra toujours attribuer un jeu au moins aussi long que celui de Nord. Il y a 2 e+13 = 8192 mains globales différentes laissées au flanc,
à l'intérieur desquelles on doit considérer toutes les répartitions Est-Ouest.
Beaucoup de mains Nord-Sud sont équivalentes du point de vue du maniement de la couleur. Lorsqu'on applique aux mains Nord-Sud l'ensemble des transformations et
substitutions qu'on va décrire ci-dessous, nous dirons avoir effectué la réduction canonique des mains. Une première réduction
par symétrie a été faite ci-dessus pour aboutir à 797 162 mains.
Toutes les permutations de cartes contiguës entre Sud et Nord donnent des mains identiques tant que le problème des reprises de main ne se pose pas.
AX95-D4 = AX94-D5. En appliquant ces permutations le nombre de mains se trouve réduit à 159 094.
Certaines cartes sont inertes parce qu'elle ne réaliseront jamais de levée et qu'on peut leur substituer
des cartes plus basses, ce qui évite les trous dans les jeux et facilite le calcul.
Par exemple, AD-3 peut être réduit à AD-2
. Ces cartes inertes peuvent provenir de diverses origines : interne ou externe à la
ligne Nord-Sud.
Une possibilité de réduction se présente avec les cartes utiles, c'est-à-dire toutes les plus fortes
cartes de Sud à concurrence du nombre de cartes détenues par le flanc .
Par exemple : ADX83-V976 se manie comme
ADX8-V942 (avec le 3 hors-jeu et le 8 la plus faible des cartes utiles de Sud).
ADX987-V432 = ADX765-V432.
Enlever ces mains en réduit le nombre à 127 842.
La réduction interne est également possible lorsqu'une main n'a que des cartes maîtresses, disons n.
Dans ce cas, les n plus basses cartes du partenaire seront mises sur ces cartes maîtresses et sont inertes.
VX976-AR = VX932-AR. On ne peut
appliquer cette réduction qu'aux cartes maîtresses car, si AX-RV =
A2-R3, AD2-VX est différent de
AD2-V3 (le début VRA laisse trois levées dans le premier cas et
seulement deux dans le second).
Enlever ces mains en réduit le nombre à 116 477.
Ce cas interne survient lorsque Nord (qui n'est jamais plus long que Sud par convention) ou Sud, en cas
d'égalité des mains, possède une ou plusieurs cartes plus faibles que la plus faible des cartes utiles de son partenaire.
Etant toujours dominées, ces cartes sont inertes et peuvent être réduites à des plus faibles.
Par exemple RV9-753 devient RV9-432
ou ADX-V96 devient ADX-V32 mais on ne
touche pas ADX-V963 parce que 9, 6 ou 3 peuvent être jouées en quatrième
position et faire la levée, par exemple 9 contre 8754-R2 en Ouest-Est.
Enlever ces mains en réduit le nombre à 75 073.
La réduction externe des cartes inertes dépend de la sentinelle du flanc. Nous appelons sentinelle
de rang 1,2,..,n la plus faible des 1,3,..,2n-1 plus fortes cartes du flanc.
Soit AV2-765. Dans le meilleur des mondes pour le déclarant (i.e. le pire pour le flanc), la séquence suivante se produit ARD5 VX94 et le
flanc possède le 8 qui fait la troisième levée. Le 8 est la sentinelle de rang 3 et 7, 6 et 5 sont des cartes inertes qui peuvent être réduites.
Donc : AV2-765 = AV2-543. La sentinelle fait des levées même en jouant à qui perd gagne.
Enlever ces mains en réduit le nombre à 66 728.
Il existe un certain nombre de mains qui peuvent être dites jumelles car elle ne comportent que des cartes
maîtresses ou dominées. Par convention, nous concentrons toujours les forces en Sud. Par exemple AD32-R54
et ARD5-432 sont des mains jumelles.
Enlever ces mains en réduit le nombre à 66 141.
Nous appellerons mains triviales toutes les mains où le déclarant atteint tous ses objectifs à p = 1 ou p = 0 (en jouant malgré tout de façon intelligente).
A32-R54 est une main triviale qui fait toujours 2 et seulement 2 levées si Nord ne jette pas R sur A de Sud.
Certaines mains ne développent qu'une stratégie (e.g. AQ/Ø) et peuvent également être considérées comme triviales.